Lettre ouverte à tous les responsables politiques
Alice Miller
D'après un document récent (Protecting Children, Supporting Parents, janvier 2000) le gouvernement britannique se prépare à adopter, en mars 2000, une législation qui interdirait aux parents de frapper leurs enfants au moyen d'instruments divers ou sur la tête, mais qui, à part cela, leur permettrait de les gifler et de les frapper sans aucune limite d'âge. Cette information, à mon avis alarmante et d'importance universelle, me pousse à écrire cette lettre, car frapper les enfants a des conséquences politiques sérieuses, bien que rarement reconnues.

A aube du nouveau millénaire, personne probablement ne déclare ouvertement que nous devons maltraiter ou humilier nos enfants. Mais presque tout le monde considère encore la fessée comme un moyen efficace et sans danger d'élever les enfants.

I'idée communément admise que l'on peut enseigner aux enfants la différence entre le bien et le mal en les frappant est aussi vieille que notre culture, mais en est pas moins hautement trompeuse comme le prouvent les recherches les plus récentes. Frapper les enfants est toujours une humiliation et une pratique digne de esclavage. C'est également inefficace du point de vue éducatif, car cela effraie l'enfant et personne ne peut assimiler un comportement approprié en état de peur.

Pourtant, les enfants apprennent très bien par exemple. Ainsi, quand nous les frappons, nous leur apprenons exactement ce que nous ne voulons pas leur apprendre: nous leur enseignons la violence, l'ignorance et l'hypocrisie. Ils apprennent très vite à faire ce que nous avons fait jadis nous-mêmes. Ils se soumettent au plus fort, obéissent par crainte et dissimulent la souffrance d'avoir été humiliés. Ensuite, environ vingt ans après, ils dissimulent leur propre faiblesse par le recours à la violence, sont incapables d'agir calmement et soutiennent que frapper les enfants est juste et nécessaire. Ils traitent d'enfantillages tous les arguments logiques qu'on leur oppose et continuent à frapper leurs propres enfants (ou à s'agresser eux-mêmes) sans se poser de question ni éprouver le moindre remords. Leur effort pour ne pas sentir la souffrance de leur propre enfance les empêche de reconnaître que frapper les enfants est, à tout âge, une humiliation.

Et cela durera jusqu'à ce qu'une loi interdisant clairement aux parents de frapper leurs enfants, de quelque manière que ce soit, ne vienne leur ouvrir les yeux.

Si on demande à des adultes pourquoi ils étaient frappés dans leur enfance, ils le savent rarement et ils répondent à peu près : « J'étais un garçon ou une fille insupportable et je rendais fous mes parents. Ils étaient excédés par mon comportement. » Ils ne se rappellent en général aucun incident précis ayant provoqué les coups qu'ils ont reçus ni les leçons q'ils étaient censés en tirer, car ils étaient trop effrayés pour les assimiler vraiment. Mais maintenant, contre toute logique, ils espèrent, en les frappant, éduquer leurs propres enfants. Malheureusement, beaucoup de responsables politiques tombent dans la même erreur. Ils condamnent l'esclavage en théorie, mais n'ont pas encore pris conscience que les enfants doivent absolument être protégés par la loi.

Nos parents et grands-parents sont excusables de nous avoir transmis un héritage aussi dangereux parce qu'à leur époque, ils manquaient d'information. Mais nous, nous avons cette information. Nous ne pourrons pas prétexter la même innocence quand la prochaine génération nous blâmera de ne pas avoir utilisé ou même d'avoir rejeté l'information qui était à notre portée et facile à comprendre. Les parents d'aujourd'hui ne peuvent plus réclamer la liberté illimitée d'être ignorants. Un gouvernement responsable le peut encore moins. Il doit prendre en compte les plus récentes découvertes scientifiques. Les dommages causés à la structure cérébrale des enfants battus peuvent déjà être mis en évidence sur les écrans des ordinateurs.

La violence infligée aux enfants engendre une société violente et malade. La véritable autorité exclut l'humiliation. Sa discipline est basée sur l'écoute, la parole, la confiance, le respect et la protection du plus faible. Elle donne aux enfants l'assistance dont ils ont besoin pour devenir des adultes responsables qui n'exerceront pas de vengeance sous forme de guerres et de dictatures, parce qu'ils rendront simplement aux autres ce qu'ils ont autrefois reçu et appris par l'exemple : la protection et le respect.

Alice Miller, Flammarion, Paris, Février 2000


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